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Enseigner la musique en collège et en lycée 2

séminaire d’études ethnomusicologiques de la Sorbonne
mardi 2 février 2021 de 17 h à 19 h (heure de Paris)
réunion à distance par Zoom

Musique, enseignement, religions et laïcité

Être ethnomusicologue et enseigner la musique en lycée ou en collège vol. 2

Argument

La proposition centrale posée par François Picard, l’organisateur du séminaire sur proposition d’Élise Heinisch et de Bruno Stisi, était :
Qu’elle soit inscrite au programme des enseignements en collège ou non, la question des rapports entre religions, laïcité et pratiques est posée sur le terrain à l’anthropologue qu’est aussi, nécessairement, l’ethnomusicologue.
L’anthropologie du théâtre y rejoint l’anthropologie du rituel pour analyser des actes, des actions, des acteurs, plutôt que des croyances qui seraient opposées à des savoirs.
Un nombre non négligeable d’ethnomusicologues de formation et de vocation étant enseignants en lycée ou collège, on se réunira pour examiner si les savoirs et les pratiques de l’ethnomusicologue apportent — ou pourraient apporter — des savoirs, pratiques, écoutes, regards neufs, différents, dans les classes.

Compte rendu établi par Virgina Mendez, doctorante, Madrid

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seem SU enseigner 2 musique enseignement religions laïcité
Bruno Stisi, Elise Heinisch, Mohamed Hamrouni, Corinne Frayssinet Savy, François Picard, et des participants d’Europe, d’Asie (Inde), Afrique (Côte d’Ivoire) et Amérique (Guadeloupe).

Avec

Bruno Stisi, IA-IPR (Inspecteur d’académie - inspecteur pédagogique régional) en Éducation musicale, Académies de Nice et de Corse

Elise Heinisch, ethnomusicologue, professeure agrégée de musique, Académie de Nice

Corinne Frayssinet Savy, docteure, ethnomusicologue, professeure certifiée de musique, Académie de Montpellier

Mohamed Hamrouni, doctorant en ethnomusicologie, Sorbonne Université, enseignant de musique en collège

François Picard, professeur d’ethnomusicologie, Sorbonne Université

Participants

Ethnomusicologues
Enseignants au lycée, en collège
Post-doctorants
Doctorants
Étudiants de master

Ordre du jour

1. Mot de bienvenue par François Picard
2. Présentation du séminaire par François Picard
3. Tour de table : présentation de la thématique par François Picard
4. Intervention par François Picard
5. Intervention par Elise Heinisch : Quand l’enseignement de l’éducation musicale bouscule les « croyances » de l’adolescent. Enjeux, discours, détours et incompréhensions : les limites de l’étendard laïque. Contextualisation et « Récits de terrain »
6. Intervention par Bruno Stisi
Réflexions par François Picard
7. Intervention par Mohamed Hamrouni : Musique, Religions, Laïcité. L’éducation musicale aux collèges. L’étude d’un support musical à travers son cadre religieux.
Réflexions par François Picard
8. Intervention par Corinne Frayssinet Savy
Réflexions finales par François Picard

4. Intervention par François Picard Une anthropologie religieuse de la musique

François Picard donne une brève introduction sur sa vision de la recherche anthropologique de la musique religieuse.

Pour ce faire, il présente une visualisation du son de différents exemples de chants de Chine et d’Inde, dont : récitation, cantillation, chant d’une chanson, d’une hymne, entre autres. Ces schémas sont obtenus grâce à un programme musical (Praat) et les graphiques nous montrent la mélodie en fonction du temps et l’intensité en fonction du temps.

Ce type de visualisation, présenté dans le programme interdisciplinaire Native-Convergences Patrimoine de Sorbonne Université, est utilisé par les universitaires, les comédiens et les chanteurs d’opéra comme outil, "savoir faire" pour distinguer, parler ou chanter.

Picard relève la question de séparer entre le sacré et le profane, c’est une question universelle qui est posée et ses réponses sont : « la distinction est à la fois universellement à disposition et à chaque fois localement valide », elle prend effet de vérité.

Picard donne cependant des exemples où les croyances changent selon les différentes cultures, et surtout où l’appartenance ou les pratiques ne relèvent pas du système de croyance ; il observe cependant que, depuis moins de vingt ans, la croyance a tendance à s’imposer comme critère dans le monde.

5. Intervention par Elise Heinisch : Quand l’enseignement de l’éducation musicale bouscule les « croyances » de l’adolescent. Enjeux, discours, détours et incompréhensions : les limites de l’étendard laïque. Contextualisation et « Récits de terrain »

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Elise Heinisch

L’ethnomusicologue et enseignante Elise Heinisch présente brièvement la charte de la laïcité de l’éducation nationale et donne des exemples concrets dans le domaine de l’enseignement de l’éducation musicale au collège.

Elle pose la question de la relation entre la laïcité, la religion et la pratique, et propose une discussion sur les “croyances”. Elle aborde également un questionnement sur la relation entre ethnomusicologue et professeure d’Éducation musicale.

Heinisch explique ce que signifie la laïcité :

« La laïcité doit être comprise comme une valeur positive d’émancipation et non pas comme une contrainte qui viendrait limiter les libertés individuelles. Elle n’est jamais dirigée contre des individus ou des religions, mais elle garantit l’égal traitement de tous les élèves et l’égale dignité de tous les citoyens. (…) Dans les écoles et établissements d’enseignement du second degré publics, la Charte de la laïcité à l’École est affichée de manière à être visible de tous. Les lieux d’accueil et de passage sont à privilégier »

Cette charte de la laïcité comporte quinze articles et s’adresse au personnel des établissements d’enseignement primaire et secondaire et doit être affichée, visible. « Pour vos recherches, vous prenez les articles 10, 12 et 15 et ils accompagneront votre exposé ».

Sur le terrain, la charte présente sept témoignages de situations problématiques rencontrées en cours, les réactions et les conséquences. Parmi elles : le chant en langues étrangères, l’exploration vocale dans des genres comme le negro spiritual, le refus de l’écoute de la musique dans le cadre du deuil gitan et la question de l’interdit de la musique “haram” etc.

Ces situations révèlent qu’il est question de :
-  identités individuelles vs. identité collective : des questions d’identité, de croyances, d’appartenance et qui ont des significations différentes selon les cultures.
-  formation de l’enseignant : comment l’enseignant gère ce type de situations, s’il sait avec quelles connaissances culturelles de chaque élève, une maîtrise suffisante du domaine à étudier, les outils pédagogiques.
-  enseigner les rapports de la musique au sacré : implicite ou explicite ? La dissociation du contenu de la culture ou des croyances de l’apprenant est mentionnée.

Un autre des points abordés est l’article 10 de la Charte de la laïcité qui transmet la valeur de la laïcité et dont les parents et les élèves doivent être conscients.
D’autre part, les enseignants devant être formés avec un master en enseignement (MEEF), quelles sont les attentes du concours sur ce terrain ? Et quant à la laïcité, intérêt d’avoir une formation continue ?

En ce qui concerne l’article 15, il fait deux remarques importantes :
- Dans les pratiques pédagogiques obligatoires
- Dans les pratiques pédagogiques « variables »

Réserves

Parfois, la laïcité n’est pas appliquée dans la pratique ou présentée uniquement comme un bouclier anti-religions (acheter la paix sociale sans faire de bruits).

Heinisch :

→ si bonne formation, bon tuteur, au bon endroit, bien préparé.
Ethnomusicologue (terrain-classe) de suite intéressée par la multiplicité culturelle de mes élèves : faire face à ces situations problématique est possible.
→ QUID de l’enseignant non intéressé ? frontal ? Qui se braque ?
→ QUID : vacataires, contractuels non formés, non préparés ?

Le dernier point abordé par l’intervention de Heinisch est celui des « Apports de l’ethnomusicologie et perspectives » :
L’ethnomusicologue apporte beaucoup en termes de gestion dans des situations critiques, de ressources telles que la diversité du répertoire musical, de ressources, de connaissance des religions, etc.

Pour aller plus loin :

→ Plus d’ethnomusicologie en formation initiale ?
→ Partage aux collègues professeurs d’éducation musicale ?
→ Groupes de réflexion, de travail : réponses et actions pédagogiques (formations)
→ Association des ethnomusicologues et des pédagogues (professeurs sur le terrain et sciences de l’éducation)
→ Journées d’étude SFE/Education nationale ? Les seuls numéros qui abordent l’enseignement et l’enfance : Cahiers d’ethnomusicologie (N°1 1988, « De bouche à oreille », N°31 2018 « Les enfants musiciens »)

6. Intervention par Bruno Stisi

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Bruno Stisi

Pour son introduction, Bruno Stisi cite un extrait de Saint Augustin, livre X, XXXII, des Confessions :

« Les voluptés de l’oreille, d’une façon plus tenace, m’avaient enveloppé et subjugué, mais tu m’as délié et délivré. Á présent, les chant dont tes paroles sont l’âme (...) m’inspirent, je l’avoue, quelques satisfactions ; ce n’est pas, il est vrai au point d’être cloué sur place (...).
Je flotte ainsi, partagé entre le danger du plaisir et la constatation d’un effet salutaire. J’incline plutôt, sans émettre toutefois un avis irrévocable, à approuver la coutume du chant dans l’ Eglise, afin que, par les délices de l’oreille, l’esprit encore trop faible puisse s’élever jusqu’au sentiment de piété.
Mais quand il m’arrive de trouver plus d’émotion dans le chant que dans ce que l’on chante, Je commets un péché qui mérite punition, je le confesse ; et j’aimerais mieux alors ne pas entendre chanter. »

Ses réflexions l’amènent à penser qu’il y a une présence du sacré dans la musique. Le culte de Dionysos en est un exemple.

Il commence par un exemple d’opéra, Cavalleria Rusticana de Giovanni Targioni-Tozzetti et Guido Menasci, musique de Pietro Mascagni, 1890 ; Stisi mentionne que l’opéra peut être une bonne pièce de théâtre chanté. Il montre quelques photos du film de Coppola Le Parrain III.

Sur les questions de programme musical, également dans la charte de la laïcité, Stisi dit qu’il n’y a pas de programme d’éducation musicale impératif pour l’univers musical, sauf au BAC. Il n’existe pas de programme qui indique ce qu’il faut ou non étudier ou quelles connaissances il faut transmettre.

Quelques propositions que Stisi mène avec son groupe de travail pour les questions de laïcité et qui enseigne actuellement à son bureau sur les grandes compétences :

- réalisation de projets musicaux d’interprétation
- réalisation de projets musicaux de création
- écoute de la musique
- construction d’une culture musicale commune - 1/3

Et en même temps, il a fait la différence entre le vécu implicite et la verbalisation. Il y a des états de situations ou de vécu implicites et leur récurrence sur quatre ans d’éducation musicale à l’école.

Quelques réflexions de Stisi :

« …J’ai été très sensible… à la formation initiale, de la même manière que je considère que pour un enfant, pour un élève, pour un adolescent, la laïcité ne s’apprend pas comme une table de multiplications… »
« …la formation des professeurs se fait sur le long terme ».

Stisi invite à la réflexion de l’ethnomusicologie car elle s’intéresse à l’étude des autres cultures et/ou civilisations et part à la recherche de la grande question, « qu’est-ce que la musique ? » et à participer de cette idée de formation continue tout au long de la vie.

7. Intervention par Mohamed Hamrouni : Musique, Religions, Laïcité. L’éducation musicale aux collèges. L’étude d’un support musical à travers son cadre religieux

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Mohamed Hamrouni

Hamrouni propose :

L’objectif éducatif consiste à étudier un support musical.
L’analyse est portée sur la musique et l’approche demeure laïque et se veut neutre.

Difficultés :

Un repli identitaire de certains élèves contre l’origine religieuse ou les pratiques religieuses qui peuvent accompagner le chant.
Un rejet du support musical à cause d’un positionnement pour ou contre telle croyance ou encore à cause de ses caractéristiques stylistiques.

Bénéfices :

Ouvrir les esprits sur la culture de l’autre.
Ne pas percevoir la laïcité comme un obstacle pour l’étude du fait religieux.
Distinguer la croyance de la pratique religieuse et la pratique religieuse du support musical.

Religieux ou profane ?

Hamrouni travail sur le Moyen Âge, la musique polyphonique ou la notation musicale principalement avec les élèves de 5ème et il propose deux exemples musicaux de sa séquence où se mêlent le sacré et le profane.

“Amazing Grace” dans différents formats et différents contextes :

-  Version de Andy Gibbs à la grande cornemus écossaise lors du Festival interceltique à Lorient, août 2016.
-  Version de Wintley Phipps prêtre adventiste (Carnegie Hall, New York, 2002). (le chant démarre à 5’)

Il y a la question : qu’est-ce qui est religieux et qu’est-ce qui ne l’est pas ?
Une autre version mentionnée dans l’intervention est celle de Judy Collins qui est de type protestant.

François Picard ajoute les deux versions de John Baez et l’interprétation par Barack Obama pour les étudiants de Sorbonne, la leçon figure sur Moodle L2/4/6MUKA12 - Musiques modales et pentatoniques - FPicard

Peut-on retracer une musique à travers des œuvres artistiques ? par le biais d’une description détaillant comment une petit fille de 5 ans d’une église afro-américaine décrit le chant. Suite à la lecture du passage « L’église méthodiste épiscopale africaine du Premier Achat » (“First Purchase African Methodist Episcopal Church”, Harper Lee, To Kill a Mockingbird, Philadelphia, Lippincott, 1960 ; trad. fr. Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur), les élèves complètent la fiche d’écoute de l’extrait “This little light of mine” à partir du vocabulaire du texte.
La compétence travaillée est « écouter , comparer et construire une culture musicale » d’un spiritual noir.

8. Intervention par Corinne Frayssinet Savy : L’ethnomusicologie à l’épreuve du grand fétiche

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Intervention de Corinne Frayssinet Savy
Être ethnomusicologue et enseigner la musique en lycée ou en collège vol 2
"Musique, enseignement, religions, laïcité"
présentation de Corinne Frayssinet Savy (document pdf)

Corinne Frayssinet Savy part de la définition de l’enseignement des faits religieux inscrit dans le socle commun de connaissances, de compétences et de culture exposée sur le site eduscol.education.fr à la rubrique Citoyenneté et valeurs de la République > Laïcité. Après avoir commenté ce texte officiel, elle le met en perspective avec l’approche de la notion de fétiche selon Michel Serres développé dans le chapitre 8 intitulé « Le Grand Fétiche ou les métamorphoses du religieux », Pantopie ou le monde de Michel Serres. De Hermès à Petite Poucette. Entretiens avec Martin Legros et Sven Ortoli, Paris, Le Pommier, 2016.

L’idée même de fétiche donne un éclairage sur la relation des hommes aux dieux dans le polythéisme et sur l’enjeu du religieux dans ce cadre. Elle se définit comme « l’alliance entre le donné et le construit ». Le polythéisme est « une religion de la fabrication des dieux » alors que le monothéisme repose sur « l’idée d’un dieu que l’on ne fabrique pas : c’est un dieu qui a fabriqué les hommes ou qui a fabriqué le monde ». Ces deux appréhensions différentes du religieux peuvent coexister dans certaines manifestations religieuses para-liturgiques qui illustrent la question des métamorphoses en jeu ici.

C. Frayssinet Savy prend comme exemple le phénomène de la procession de la Semaine Sainte à Séville, en Espagne, où les représentations de la douleur par le Christ, les différentes stations de cette procession, sont convoquées. Elle parle de la réception des élèves de cette manifestation du religieux en adéquation avec le chant des saetas flamencas exprimant ferveur et douleur.

C. Frayssinet Savy rappelle que le répertoire flamenco vise une expression de la douleur qui doit toucher et émouvoir l’auditoire associée à une représentation corporelle visuelle. Ce sentir musical, étranger aux élèves dans un autre contexte que celui sacré décrit précédemment, inspire un projet artistique décliné sur plusieurs années, faisant appel à différentes cultures disciplinaires, visuelles, poétiques, de danse et de musique. Il s’inscrit dans le cadre d’un partenariat avec le Festival de Flamenco de Nîmes et le Théâtre de Nîmes.

Cette activité est réalisée à partir d’une série de caricatures, cultivant l’humour et cherchant à s’approprier la culture de l’autre, les émotions de l’autre. Il s’agit de représenter cet univers (qui est étranger) pour mieux approcher l’idée du chant flamenco, qui est un chant émotionnel et douloureux. Cette dimension sensible traduit l’une des métamorphoses du religieux à travers le caractère spirituel que convoque la douleur dans ce chant, significative d’une histoire des Gitans d’une part et du peuple andalou d’autre part en Andalousie.

C. Frayssinet Savy éclaire cette proposition d’une citation de José Manuel Gamboa et Faustino Núñez, Flamenco de la A a la Z, Diccionario de términos del flamenco, Madrid, Espasa-Calpe, 2007, pour réfléchir à cette idée de la douleur dans le chant flamenco. Elle souligne le pouvoir de résistance de ce chant face au consensus social fonctionnant sur un fond de violence tel que l’envisage René Girard dans son livre Le Bouc émissaire, Paris, Grasset, 1982. Michel Serres rappelle que les philosophes grecs comme les prophètes-écrivains d’Israël et le Christ dénoncent le consensus social, le fait d’être corrompu par la violence. Le chant flamenco est le cri même d’une douleur qui résiste à cette fascination de la mort.

Conclusion : L’éducation musicale, de la maternelle à l’université

Elise Heinisch rappelle le colloque qui s’est tenu à DIjon les 7-9 mars 2002, lors duquel un atelier Enjeux de la recherche en ethnomusicologie pour l’enseignement de la musique a réuni Michel de Lannoy, maître de conférences à l’université de Tours, Jean-François Jacomino, professeur d’éducation musicale CIV de Valbonne, François Picard, professeur des universités, UFR de musicologie, Paris IV, Jany Rougé, directeur de la Fédération des Associations de Musique et Danses Traditionnelles.

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colloque éducation musicale Dijon 2002
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colloque éducation musicale Dijon 2002 atelier
Atelier N° 31 « Enjeux de la recherche en ethnomusicologie pour l’enseignement de la musique » (document pdf à télécharger)