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Séance 4 du 11 décembre 2013

Luo Hua
chapitre 7 « Faut-il transcrire la musique écrite ? »

compte-rendu par Joëlle Cosme
Le séminaire a porté essentiellement sur le chapitre sept de l’ouvrage de Delalande Analyser la musique, pourquoi, comment ?

Nous avons eu dans ce cadre deux grands aspects qui ont été abordés :

La transcription en musique

Faut-il transcrire la musique écrite ? Une transcription de la musique savante est-elle toujours nécessaire et pourquoi ? Cette pratique est spécifique et ne reflète qu’un aspect de l’œuvre. La partition représente-t-elle une bonne transcription de la musique écrite ?

Contrairement à la musique de tradition orale, dans le cadre de l’analyse de la musique écrite, une enquête externe ne s’avère pas toujours nécessaire si nous avons notamment un corpus déjà pré-établi ainsi que des travaux musicologiques sur les œuvres.

Dans le cas de l’ethnomusicologie et des musiques de traditions orales, si la musique est répétitive, un modèle écrit comprenant le début, la fin ainsi que les variations est suffisant pour ce qui est de la transcription de la musique. Toutefois pour la musique de tradition écrite, quelle est la pertinence de tout écrire même lorsque nous avons des éléments qui se répètent ?

Les limites de l’analyse tripartite issue de la sémiotique

Delalande remet en cause le concept de tripartition qui a été repris par Molino et Nattiez. Il remet en cause le niveau neutre ainsi que la rigidité de l’analyse qui se limite uniquement à trois niveaux (neutre, poïétique et esthésique). Il ajoute un niveau supplémentaire -le niveau de l’interprétation de l’ œuvre.

Nous avons un résultat musical dénommé « objet sonore » selon Delalande grâce à l’interprétation des humains. Une boucle se crée ainsi entre tous : un compositeur produit une partition qui est interprétée et qui devient un objet sonore à destination d’un auditeur. Sous cet angle, l’objet sonore émanant de l’interprète est-il le reflet de la partition et/ou du résultat musical voulu par le compositeur ?

De plus pour Delalande, il est important de noter que l’auditeur crée aussi son propre résultat musical par son écoute. Ainsi, la partition ne se situe pas uniquement entre le compositeur et l’interprète, elle se retrouve également entre l’interprète et l’auditeur. L’objet sonore* n’émanerait en conséquence pas uniquement du compositeur et/ou de l’interprète mais également de l’auditeur. Dans ce cadre, pour Delalande, se pose la question de la nature phonologique de la transcription ou partition.
* L’expression « objet sonore » tel qu’elle est utilisée par Delalande n’est pas ici employée dans le sens de Pierre Schaeffer et du GRM (Groupe de Recherche Musicale) qui eux l’utilisent lorsqu’ils se réfèrent au son.

Delalande conclut le chapitre 7 en évoquant l’imagerie musicale qui est une forme de transcription , il évoque tout particulièrement l’acousmographe ainsi que le pianiste Glen Gould.

Échanges et questions lors du séminaire

Au sujet de la réception par l’auditeur, F. Picard a évoqué le fait que A. Moles* a popularisé la théorie de l’information, qui concerne le message qui est transmis de l’émetteur au récepteur. Il s’avère que ce message peut être changé lors de la transmission. Le message est transmis par un support (câble, air, etc...) qui permet la communication entre deux êtres.

*Le schéma poïétique - niveau neutre - esthésique vient d’Abraham Moles (1920-1992), Théorie de l’information et perception esthétique, Paris, Denoël Gonthier, 1972, et avant lui il y a eu McLuhan (« medium is the message »).

Certains participants ont évoqué la question de l’existence d’un interprète pour les musiques électroacoustiques.

D’autres participants ont évoqué que nous pouvons également inclure d’autres niveaux entre émetteurs et récepteurs. Ainsi, certains compositeurs contemporains tels Xenakis et Boulez, ont été amenés à corriger leurs œuvres après les avoir entendues. Il s’installe ainsi un niveau de plus qui est l’interaction entre compositeurs et interprètes. Xenakis a même corrigé certaines des ses œuvres suite à la réaction des auditeurs.

F. Picard pose la question aux participants du séminaire : faut-il ré-écrire les partitions ? Est-ce que transcrire ou ré-écrire une partition nous apprend quelque chose sur la musique. Delalande évoque l’ethnomusicologue Simha Arom qui va sur le terrain, puis transcrit et par la suite effectue son analyse à partir de la transcription écrite. Mais Delalande, Chailley et Arom se sont posés la question de ce qu’on note lorsque qu’on transcrit.

F. Picard rappelle que Delalande évoque que tout chercheur doit adopter une approche rigoureuse et qu’il doit être très précis lorsqu’il cite une source (année, titre exact d’une œuvre...). Nous avons par exemple le cas de George Brassens évoqué par Chailley dans un colloque de 1960 pour une chanson dont le titre (L’enterrement) est erroné.

F. Picard conclut sur la question de la transcription et de la notation en montrant aux participants sa propre notation ainsi que des notations antérieures telles la notation ancienne chinoise et la notation chiffrée selon le système Chevé (1= do 2 = ré…) de la pièce « La Feuille de Saule ». Nous avons ainsi trois transcriptions différentes pour une même pièce et nous pouvons constater les limites de toutes ces écritures (portée, ornementation, écriture dictée, signes et symboles...).
Voir le document ianalyse shuilongyin.mv4.
Les notations anciennes n’avaient pas été transmises pendant la révolution culturelle en Chine. Par la suite lorsque ces notations ont été de nouveau utilisées les musiciens de Lijiang se sont aperçus que lorsque les jeunes jouaient en respectant les notations anciennes transcrites (ou plus précisément transnotées) simplement en notation chiffrée, leurs interprétations ne coïncidaient par avec les interprétations transmises oralement ou par ceux qui lisaient la notation gongche et en connaissaient les règles d’usage. La question se pose donc du degré de précision requis d’une notation en l’absence de la transmission directe. Elle a été résolue par le musicologue Yang Zenglie, membre de l’association des musiciens de Lijiang, qui a non pas fait une pure transnotation de gongche en chiffré, mais adapté afin de préciser quand il fallait jouer si au lieu de do, ou fa# au lieu de sol.