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Séance du 8 janvier 2014 "Applied ethnomusicology, ethnomusicologie appliquée ou impliquée ?"

Applied ethnomusicology, ethnomusicologie appliquée ou impliquée ?
SEEM-PS, 8 janvier 2014

Pourquoi ce thème ?
Thème des Journées d’étude de la SFE 2014, durant lesquelles ethnomusiKa assurera l’organisation d’une table ronde (rappel : lors du festival ethnomusiKa en juin 2012, il y avait eu une table ronde sur la position du chercheur en sciences humaines dans la société actuelle).

Possibilité d’une contribution collective des participants du séminaire pour ces JETU : panel ?

Au programme : interventions de Maud Caillat et Jerôme Cler puis discussion autour des interventions et de la thématique « Applied ethnomusicology, ethnomusicologie appliquée ou impliquée ? ».
Nous excusons l’absence de Catherine Segeral qui devait intervenir mais a hélas été retenue par des obligations professionnelles. Elle devait nous parler de l’implication et la prise de conscience des acteurs locaux dans la collecte des traces d’une culture qui se banalise avec la mondialisation alors que sur son terrain, aucune source sonore n’avait été collectée.

Maud Caillat : "L’implication de la musicologie dans les concours internationaux : enjeux et difficultés"
Rappel :
Implication du politique, de la diplomatie dans les concours internationaux coïncide avec la guerre froide. Une des finalités du concours : contrecarrer des décisions diplomatiques. Pendant la guerre froide, il y a eu une grande rivalité entre école de piano surtout soviétique et école française.
Ces concours ont pour but de permettre aux jeunes artistes de commencer une carrière internationale. La musicologie est représentée surtout par un jury de pays de l’Est, ainsi qu’aux Etats-Unis, il y a une double formation : histoire de la musique (musicologie) et interprétation / analyse (Exemple de Charles Rosen),
Le statut des concours a changé : il garantit plus une carrière mais permet aujourd’hui de sortir de l’anonymat pendant un certain temps.

Quel peut être le rôle du musicologue dans ces concours ?

En 2011, au concours Clara Haskil, 7 étudiants en musique et musicologie ont été invités en tant qu’observateurs (travail plutôt de l’ordre du journalistique : article, participations à des émissions de radio). En contact avec les candidats, les membres du jury, le public. Les étudiants devaient attribuer le Prix de la Jeune Critique, sur une œuvre de musique de chambre.
Qu’est-ce que la participation à un jury apporte aux musicologues ?
Expérience de terrain. Expérience pédagogique.

Qu’est-ce que ça apporte aux interprètes ?
Le concours est aujourd’hui un complément à un diplôme, permettant à un lauréat d’être embauché dans un conservatoire et de travailler autre chose que son interprétation. Il existe des écoles spécialisées en Allemagne dispensant un enseignement scolaire le matin, et l’après-midi est consacré à la pratique instrumentale. D’après la directrice d’une de ces écoles : on peut développer le talent, mais ce n’est pas une obligation pour eux de devenir des musiciens professionnels.

Difficultés : Comment mettre en pratique l’application de la musicologie dans les concours ? La musicologie historique est avant tout l’étude des œuvres, mais elle est très lacunaire sur la pédagogie, l’enseignement de la musique. Pour quelqu’un qui siège dans un jury, il faut cerner la personne, savoir quel type d’enseignement elle a pu avoir.
Exemple des enfants prodiges. Face à eux, deux attitudes sont possibles : certaines personnes éblouies de manière inconditionnelle, et d’autres les nient totalement (pour eux, l’avance cognitive nécessite un enseignement spécialisé). Au violon, il n’y a quasiment aucune chance de mener une carrière de soliste lorsqu’on n’a pas été un enfant prodige. Éléments qui relèvent de la psychologie cognitive.

Notion de virtuosité dont on parle beaucoup dans les concours : aujourd’hui, n’importe qui peut maîtriser les pièces réputées difficiles il y a 100 ans. Au XIXe, idée de don, transcendante, du divin (« le divin Mozart »), tandis qu’aujourd’hui, on n’a plus ces méthodes rébarbatives du XIXe, mais une approche plus cérébrale, plus mentale de l’instrument. On comprend ce que l’on fait au lieu d’imprégner uniquement la mémoire tactile en répétant.

Maud a elle-même été jury d’un concours. Classe d’âge 12-20 ans. But : essayer de rattraper le retard des enfants doués qui n’ont pas eu l’enseignement adéquat. Discussions avec l’enfant, les parents et le professeur après le concours sur le travail à faire.
Cas d’admission au conservatoire de Moscou de Richter à 26 ans
Pour Maud : le concours correspond à un état d’immaturité musicale. C’est quand on est encore immature qu’on participe à des concours. Les grands pianistes ne participent pas à des concours.

Recentrage du propos par F. Picard : Qu’est ce que cela implique pour la musicologie d’être à l’intérieur plutôt qu’à extérieur ? Dans quelle mesure ça ne sert pas à une machinerie politique ou commerciale ? Quelle est notre place ? Est-ce qu’on arrive à se faire respecter en tant que musicologue par un jury ?
Parallèle avec mathématiques / mathématiques appliquées : différence entre la construction pure de savoir et le savoir appliqué.

La différence entre science pure / appliquée dans le cas des États-Unis : cela leur permet de maintenir un monde académique autonome. Qui décide de l’utilité sociale ?
En France : modèle de Bourdieu. La question de savoir si le scientifique s’implique dans la société ou pas ne se pose pas en France. Aux États-Unis, la recherche appliquée dépend de l’utilité sociale qu’elle va avoir, et qui va décider de l’utilité sociale de la musicologie, ce sont les gens qui donnent les sous !

Jérôme Cler

Question de l’ethnomusicologie appliquée / impliquée / engagée.
Note : en espagnol : engagé = comprometido (jeu de mot possible en français “compromettre”)
Pour Jérôme, cette expression n’a aucun sens. Pour lui, l’implication a été antérieure au fait de faire de l’ethnomusicologie. Jérôme était impliqué dans une pratique instrumentale avant même de savoir qu’il faisait un terrain ethnomusicologique. Le fait de faire un travail académique par dessus n’était qu’une conséquence de cette implication. Il avait déjà un passé académique. 8 ou 9 ans après avoir terminé ses études de lettres, il a entamé un DEA d’ethnomusicologie. Mais pendant ces 8 ans, il s’est impliqué autrement dans la musique.

CNRTL : Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales

IMPLIQUER, verbe trans.
A. − Vx et littér. « Enchevêtrer, compliquer » (DG).

Une histoire de « pli ».
On est pris parfois dans des intérêts qui nous dépasse : « Implication de fait »

C’est aussi la question du temps :
Jérôme a effectué 3 terrains, mais chacune de ces trois aventures est incommensurable du point de vue de l’implication.
1) 1990 - … : le lien dépasse complètement le cadre ethnomusicologique. La réciprocité est marquée à vie.
2) 1997 : terrain confrérique, CD à Ocora
3) Colombie

Colombie : 3 séjours de 6 semaines, collaboration avec un petit village et des universitaires locaux.
Ce qui l’a interloqué :
-  l’implication des anthropologues universitaires par rapport au terrain. Enjeux politiques qui le dépassaient.
-  Ethnoéducation. Contribuer en tant qu’ethnomusicologue à de l’anthropologie appliquée. L’ethnomusicologie, c’est tout d’abord une pratique avant d’être de la théorisation. Les Pratique : communautés se chargent elles-mêmes de la transmission, de l’éducation, en se libérant du modèle colonial, du modèle académique de là-bas.

L’idée d’une implication possible : Comment renouveler notre pratique d’enseignant à partir de tout ce qu’on a appris grâce aux études ethnomusicologiques et en quoi cela pourrait-il être mis au service de nouvelles pratiques d’enseignement dans la tradition orale ?
Avec un collègue colombien (qui a obtenu un master à la Sorbonne sur l’enseignement du djembé), il a discuté de l’idée de l’évaluation : comment on évalue des musiciens dans ce contexte ethno-éducatif.

Question du monde associatif, du lien entre l’éducatif et le monde associatif.
Article de Luc Charles Dominique sur l’ethnomusicologie 60’s // monde associatif

J. Cler a créé une association de pratique musicale, et évoque le problème de recherche des financements.
Généralement, les mouvements partent du monde européen, associatif et non du monde académique.
Rq : J. Cler fait le chemin inverse de celui de Luc Ch-D, qui était passé du monde associatif au monde académique. Il ne sais pas si c’est appliqué ou impliqué, pour lui c’est juste la suite lié directement à l’enseignement.

Question : À quel moment J. Cler se présente-t-il comme ethnomusicologue ou comme musicien ?
La question ne s’est pas trop posée pour l’instant, Jérôme n’a pas beaucoup mis en avant l’aspect académique. C’est par le biais associatif qu’il commence à rencontrer le monde académique de son terrain.
Autres expériences d’implication : exemple de Hayri Dev, musicien que J.C connait depuis 1990, a reçu en 2010 le prix de « Trésor vivant de l’humanité » par UNESCO.

[Remarque de F. Picard :
Dès qu’on parle de l’UNESCO : rapport entre nation, politique, expertise des scientifiques basée sur la notoriété.
« je ne serai jamais expert pour décerner des titres aussi stupides que ’Trésor de l’humanité’ »
F. Picard s’étonne de l’information donnée par Jérôme Cler selon laquelle « Hayri Dev a été décrété en 2012 trésor de l’humanité par l’UNESCO ». En effet, observateur attentif mais pas totalement initié du processus du PCI, il avait bien noté l’évolution qui avait déterminé que seuls étaient consacrés comme PCI des activités collectives, et non des personnes, comme ce fut le cas pour les Trésors nationaux vivants au Japon ou leur variante en Corée.
En se documentant, F. Picard pu voir qu’effectivement, non seulement Hayri Dev a été nommé ’yaşayan insan hazineleri’, mais que ce titre existe, avec toutefois une restriction : « L’UNESCO encourage également les États à créer des systèmes nationaux de “Trésors humains vivants” ». Donc, l’UNESCO n’a pas changé sa politique, et ne décrète pas elle-même qu’un tel ou tel autre est "trésor", mais a accepté de patronner les organismes qui le décrètent sous la responsabilité des États.]

J.Cler pense que s’il n’avait pas fait ce travail, Hayri Dev ne serait pas connu, notamment grâce au film Derrière la forêt (1999). Il a été beaucoup sollicité mais il n’est pas et il ne sera jamais impliqué dans ce genre de démarche ni dans le monde académique turc.
A chaque fois que J. Cler a fait venir des gens en France, c’est par le biais d’associations (immigration turque).
Musiciens turcs ont donné 1 semaine de stage au conservatoire de Bondy.
Pour J. Cler, le seul truc qui marche, ce sont les réseaux d’amitié.
FP : « Ça n’a rien avoir avec le métier ». FP a travaillé avec de grandes institutions culturelles françaises.

M. Plisson : Il y un problème avec les institutions : Certains programmateurs refusent les ethnomusicologues.

FP : « Non. Les choses ont changé, il n’y a pas de fatalité. Mon implication politique depuis le début c’est de faire reconnaître les musiques traditionnelles, les musiques « exotiques », dans les lieux de validation de la culture, dans ma société, et dans les lieux de la musique classique, car les lieux de légitimation sont les lieux de la culture classique : les Conservatoires, France Musique, Radio France, les grands festivals. Mon objectif est politique : les musiciens seront respectés même à France Musique, même à la Sorbonne. Pour Alain Weber, les musiques du monde sont des musiques faciles à écouter par le milieu qui fait de la musique un business. Par rapport à ça, il y a une cohérence. Il faut travailler avec les grandes institutions, s’il faut l’opéra de Paris (même s’il faut se méfier du milieu de l’opéra). Là où j’aurais l’impression de me salir c’est d’être expert à UNESCO. Je trouve répugnant que l’université soit le juge de l’art. Le juge, c’est tout sauf le savant en tant que savant.
En revanche, inviter tous mes musiciens professeurs au Théâtre de la Ville, à Radio France, aux festivals internationaux, un disques monographique dans des grandes collections : ça c’est politique. Jusqu’en 2004 (chute du marché du disque), c’était agréable, j’ai travaillé professionnellement. Jamais je ne suis allé voir un programmateur.
Une partie de l’ethnomusicologie appliquée, c’est pouvoir organiser les concerts pour les musiciens. Mais notre rôle n’est pas d’être producteur, ni d’être tourneur. Notre position est d’être directeur ou conseiller artistique, d’être médiateur. »

J.C : 1994, fait venir via une association ses musiciens à un Festival en France grâce à l’argent du CD chez Ocora. Ce n’est donc pas toujours programmé. L’importance de l’occasion qui se produit.
M. Plisson : on est souvent producteur par défaut. Je suis producteur à Ocora mais je refuse d’être tourneur et tout ce qui est en lien avec le business.
F. Picard : ça fait parti des responsabilités qu’on a. Notre position est d’être médiateur. Notre responsabilité est là : exemple du CD
Hymne à Confucius : toutes les partitions sont de FP, il a tout dirigé.
Ce n’est pas une question de compétence. Il est bien plus simple de séparer les fonctions de producteur-tourneur qui se met en relation avec les institutions et directeur artistique. C’est une question d’efficacité.

Suzy : question de faire venir des musiciens de nos terrains à Paris.
Problème : Comment faire en sorte que cela plaise à un public parisien mais aussi et surtout plaire aux musiciens eux-mêmes et qu’ils se sentent à l’aise.
Pourquoi faire venir ses musiciens à Paris ? Plusieurs arguments souvent mis en avant dont la diffusion de musiques en voie de disparition...

FP : ni l’anthropologue, ni le sociologue, ni l’historien ne peuvent faire de prévisions, à moins que votre implication soit de les faire disparaître, évitez de dire « en voie de disparition » et de les présenter comme des fossiles.

F.P. : est-ce que nous on a le droit en tant que scientifiques de laisser passer ça...Peut être… Si ça leur permet de venir à Paris...
Remarque de FP : Il n’y a pas de question d’éthique.
Bertold Brecht : « Pour manger avec le diable, il faut une grande cuillère »
Quand on fait venir des musiciens, ce n’est pas pour éviter qu’une culture disparaisse, c’est pour le faire bien, il n’y a pas d’après.

Julien : problème de l’association des ethnomusicologues avec des programmations, la « caution scientifique ». Une partie de la discipline produit aussi ce discours, une forme d’ethnomusicologie « de sauvegarde ». Est-ce que ce sont les programmateurs qui se l’approprient d’une partie d’entre nous ou pas ? Il est délicat de s’associer à des institutions qui donnent une orientation politique problématique.

FP :
Ce qui est incompréhensible, c’est que le livre de Jérôme Cler est sorti à Actes Sud en même temps que la programmation « Musiques de Turquie » à la Cité de la Musique sans qu’il soit prévenu…

Michel : sur les Mayas, texte complètement changé sans que Michel soit au courant.

FP : quand on grandit, on remarque qu’il y a des choses qu’on peut faire quand on a une grande cuillère. Moi qui n’ai pas vécu en position de guerre, je refuse de juger Chostakovitch (qui a mangé avec Staline).

Angeline Yegnan : question de l’arc musical dans les musées, arc musical qui a parfois été classé avec les armes. Elle a participé à des formations à la fabrication et au jeu de l’arc musical.